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Couleur de peau : Miel

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Couleur de peau : Miel

Messagepar » Mer Juin 20, 2012 11:17 am

Pour parler de ce film que je n'ai pas vu, je passe la parole à la secrétaire dévouée de l'association : Anne-Lise Baider qui a vu le film à Annecy et en a fait un petite chronique.

Anne-Lise Baider a écrit:Couleur de peau : miel de Laurent Boileau et Jung Hénin.

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Couleur de Peau : miel est un film sur l’adoption, selon l’un des réalisateurs Jung Hénin, certes, mais c’est surtout le récit d’un parcours de vie, celui d’un petit Coréen adopté par une famille belge dans les années 60 à l’âge de cinq ans. La question de l’identité est au fondement même du récit du narrateur intradiégétique, et tout d’abord les raisons de ses parents d’adopter un enfant alors qu’ils ont déjà quatre enfants blonds comme les blés, et de là la question de la place occupée dans la fratrie. Cette question sera redoublée par l’arrivée d’une autre petite Coréenne rebaptisée Valérie que Jung déteste d’emblée. Enfin et surtout, la question qui taraude le protagoniste est celle du motif de son abandon par sa mère biologique et celle de l’amour que lui porte ou non sa mère adoptive avec laquelle l’enfant entretient des rapports houleux. C’est surtout par le montage des séquences que viennent les réponses à ces questions, ce n’est donc pas un film didactique mais une sorte de parcours dans la mémoire pour se retrouver et se comprendre.

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L’histoire est adaptée de la bande dessinée de Jung Hénin par lui-même et Laurent Boileau , auteur de nombreux documentaires sur les arts graphiques. Outre l’intérêt du thème de l’adoption rarement traité au cinéma, c’est l’originalité de l’esthétique de Couleur de peau : miel qui surprend. De fait, ce récit rétrospectif est composé de commentaires en voix off de Jung adulte , de plusieurs scènes de souvenirs narrés chronologiquement le plus souvent, hormis quelques allers et retours avec le passé proche d’un voyage en Corée. Le film se caractérise surtout par le mélange de régimes d’images très variés astucieusement organisé.
Interrogé sur ce surprenant montage d’images d’archives historiques et d’archives familiales ou personnelles en prise de vue réelle d’une part, et d’images animées, Jung Hénin nie avoir voulu faire comme Ari Folman dans Valse avec Bachir et répond simplement : « on ne s’est pas posé la question ». Une analyse plus précise du film nous laisse penser qu’il n’en est rien.

De fait, les images d’archives qui ouvrent le film donnent la dimension spatio-temporelle de l’histoire qui est contée : celle de la Belgique des années 60-70, soit l’enfance et l’adolescence du protagoniste. On y voit l’arrivée par avion des petits Coréens, la voix off cite des noms et des chiffres pour souligner l’importance du phénomène qu’il assimile à une mode comme celle qui rythme les modèles de voitures ! S’ensuivent des images tournées en super 8 sans doute par le père de Jung car on ne le voit jamais , archives familiales montrant les moments de joie et de fête, comme de bien entendu puisque la caméra était achetée à cet effet. Ces images nous font entrer dans le récit personnel de Jung : le ton change, au bonheur familial succède la souffrance individuelle.

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Le montage très fluide de raccord dans le mouvement laisse alors la place aux images en dessin animé. Une des raisons de la substitution d’un régime d’image par un autre est d’abord matérielle : le dessin comble l’absence d’images en prise de vue réelle, car toute la vie de l’enfant n’a pas été filmée par ses parents, bien évidemment. Or, l’absence est bien le thème du film puisque l’enfant est à la recherche de sa mère biologique, à tel point qu’il la dessinera à plusieurs reprises et qu’il tentera de lui donner un visage. Le remplacement de la prise de vue réelle par le dessin est donc en parfaite adéquation avec le récit .
Le passage progressif d’images d’archives historiques, puis d’images d’archives familiales et d’images animées nous fait également glisser de l’Histoire à l’histoire personnelle et à la vie intérieure de Jung. En effet, si un cinéaste fait des choix dans la réalité par le cadrage notamment, le dessinateur, lui, choisit de reproduire certains éléments et d’en passer d’autres sous silence : il hiérarchise les objets de la réalité les uns par rapport aux autres. Le dessin est donc une interprétation visuelle plus ou moins fidèle de la réalité : les décors nous renvoient bien à l’époque des trente glorieuses mais tout est vu à travers le regard d’un enfant. Le narrateur précise d’ailleurs que c’est le dessin qui a été pour lui le mode d’expression de son mal-être : il dessinait à la fois la réalité et ses rêves.

À l’intérieur même des souvenirs en dessin animé, le trait organise une hiérarchie dans les souvenirs. La ligne claire, précise reproduit le monde de l’enfance et de l’adolescence avec force détails réalistes ; par exemple, les modèles de voitures des décennies évoquées sont fidèles à la réalité : Ami 6, 4L, break Citroën, fourgon Volkswagen, etc… . Un dessin , quant à lui, plus allusif est mis en œuvre pour traduire les fantasmes et les rêves. Le narrateur explique que le dessin lui a permis de recréer le monde, et d’ en inventer d’autres, notamment les scènes de rencontre avec sa mère biologique qu’il n’a pas connue. L’expressivité du dessin est donc en adéquation avec la vie intérieure du narrateur faite de souvenirs et de fantasmes. Plus étrange encore, le dessin trahit le dessinateur ! En effet, a posteriori , Jung s’aperçoit que le monde japonais qu’il pensait , enfant, représenter recélait des traces inconsciente de la civilisation coréenne qu’il n’avait pratiquement pas connue et qu’il espérait avoir rayée de sa mémoire. Georges Didi-Huberman, étudiant le travail de Aby Warburg, parle de Pathosformeln, ces traces anciennes présentes dans des œuvres ultérieures et dont les artistes ne sont pas conscients, traces qui ressurgissent à la manière du refoulé analysé par Freud. Ces dessins sont bien de cet ordre-là.
D’ailleurs, il s’agit dans ce cas d’images fixes au même titre que les photographies qui apparaissent sous leur forme d’origine dans les passages en prise de vue réelle et redessinées dans les images animées. Ce qui distingue la photographie réelle et la photographie redessinée et que l’une est un témoignage perçu comme objectif alors que l’autre est une interprétation de ce même témoignage, mais la confrontation de ces deux types de « photographies » incite à mettre en doute l’objectivité de la « vraie » photographie.
De fait, comme dans ce qui unit le film et le réalisateur, la photographie résulte d’un choix du photographe, mais également, comme le souligne Barthes dans son étude sur le portrait, le personnage photographié prend la pose et donc se constitue lui-même en personnage, c’est-à-dire en être de fiction. Cette présence de la photographie est donc en adéquation avec la voix off du narrateur intradiégétique et nous rappelle, au cas où nous nous laisserions adhérer totalement au récit, qu’il s’agit d’un récit de vécu personnel , donc sujet à caution.

Enfin, la présence de ce régime d’image fixe noue des liens étroits avec la question du temps. Non seulement la photographie, selon Barthes, est une forme de temps arrêté, une sorte d’arrêt sur images mais elle est également liée à la mort. Bazin emploie le terme « d’embaumement » au sujet de la photographie : la vie y est, paradoxalement, comme conservée sous une forme inerte . Nous comprenons alors la raison de la présence de la photographie sous une forme dessinée car elle rejoint ainsi le principe même du dessin, support des Pathosformeln : photographies et dessins portent en eux les strates du temps vécu, l’interprétation du sujet par l’artiste et le modèle présent dans ces portraits. Et si l’on met en regard ces images fixes et les images animées des fantasmes de Jung dont la scène se déroule dans un cadre spatio-temporel vide, décontextualisé, on comprend que l’abolition même du temps est nécessaire pour se trouver soi-même, comprendre qui on est et pourquoi on souffre.

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Ainsi, nous constatons que, loin d’être le fait d’un choix irréfléchi, l’interpénétration de différents régimes d’images dans Couleur de peau : miel est en adéquation parfaite avec le propos . En ce sens, le film rend mieux compte que la bande dessinée de la douleur de l’absence de la mère et de la quête de soi.

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Merci à elle.

Le film est toujours présent à l'affiche, vous pouvez visiter son site officiel.

Je remets la bande annonce ici.

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Re: Couleur de peau : Miel

Messagepar zac » Ven Juin 22, 2012 11:15 am

Voilà une analyse "critique" de qualité qui éclaire le film. C'est une très bonne chose que de l'avoir posté. Merci.

Cela ne fait que renforcer mon point de vue sur cet aspect du cinéma d'Animation en général, dans le sens où il manque cruellement d'un véritable espace critique, comme son semblable en PVR, ou comme d'autres formes artistiques matures. :)
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Re: Couleur de peau : Miel

Messagepar Esk » Jeu Juin 28, 2012 9:23 am

Le film est bien fichu, on est porté par l'histoire de ce petit garçon qui grandit avec la question de la parenté. Finalement, il lui faut très peu de temps pour s'intégrer dans sa famille adoptive mais des années pour l'accepter, comme si son douloureux passé ne lui en donnait pas le droit.
Et puis, mélanger les techniques cinématographiques fonctionne très bien pour un récit autobio, surtout qu'ici, le dessin est légitimé par l'activité de Jung.
Je n'ai pas lu la BD, il y a sûrement des choses intéressantes à comparer.
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Re: Couleur de peau : Miel

Messagepar Jules.B » Mer Oct 31, 2012 8:35 pm

J'ai vu le film a graine d'image
super film avec des rebondissement !
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Re: Couleur de peau : Miel

Messagepar Patator » Jeu Nov 01, 2012 9:27 am

Mouais
Ben moi j'avais lu la BD avant, j'avais trouvé ça génial et super beau.
Et du coup j'ai pas trop aimé le film.
Peut être que connaissant l'histoire, je me concentrais sur l'image et l'animation...
Mais j'ai trouvé la modélisation et l'animation de basse qualité.
Les volumes ont été cernés de noir et vaguement aplatis pour faire croire a du dessin et rappeler la BD.
Bon sur certains plans ça marche très bien, mais c'est pas la majorité.
Il y a quelques séquences vraiment dessinées animées, des séquence rêvées, et là on retrouve vraiment la touche de la BD et c'est chouette.

De plus, ce que j'ai trouvé dommage par rapport à la BD, c'est tout ce qui a été occulté, plein de petits détails d'anecdotes et autres mini histoires parallèles, mais bon c'est souvent le cas dans les adaptations de livre ou de BD pour un soucis d'efficacité.

Par contre, ce que j'ai trouvé chouette, c'est le parallèle avec des images d'archives tournées par le tonton ou un ami qui a filmé l'arrivée et quelques autres moment de vie de Jung gamin.

Voila voila
Un peu déçu quoi...
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