Dans le Congrès d'Ari Folman, le producteur cynique donne cette statistique assez intéressante : un spectateur des films du Seigneur des Anneaux sur mille a lu les livres dont les films sont l'adaptation.
Ce qui signifie que le cinéma reste un art plus populaire que la littérature et que selon le point de vue il sert à rendre accessible au public le plus large une oeuvre que son support d'origine, le livre, peine à toucher.
On peut trouver ça triste ou excitant mais énormément de films sont des adaptations de matières littéraires - la quasi totalité des films d'Hitchcock par exemple sont des adaptations littéraires - tout comme énormément de séries animées sont des adaptations d'œuvres dessinées - livres pour enfants ou bandes dessinées.
On est clairement dans le bain ici avec Aya de Yopougon puisque le film est l'adaptation cinématographique d'une série de bande dessinée de Clément Oubrerie (Dessin) et Marguerite Abouet (Scénario) parue en six volumes de 2005 à 2010 chez Gallimard dans la collection Bayou dont le directeur artistique n'est autre que Joann Sfar. Hé.
La particularité, tout comme le Chat du Rabbin des mêmes studios Autochenille et du même Joann Sfar c'est que les auteurs de la bande dessinée sont devenus les réalisateurs du film. Clément Oubrerie apparaissant également au générique dans la réalisation des décors, des layout, de l'animation et divers autres trucs…
J'ai beaucoup aimé les livres au point de les offrir à quelques personnes de mon entourage. Le fait est que cette série est attachante même s'il faut bien dire que son intrigue ne dépasse guère celles de séries télé comme Dallas qui fait partie des références citées par les personnages.
En gros on a des histoires de coucheries, de reconnaissance d'enfant, d'envie d'ailleurs, de réussite, de jalousie, d'argent, d'identité sexuelle... Mais là où la série a une originalité c'est qu'elle prend place dans un quartier populaire d'Abidjan (Yopougon) dans les années 70. Les expressions, les habitudes, les couleurs, les plats cuisinés, cette société patriarcale africaine des années Dallas est dépaysante. Il faut dire qu'on a assez peu l'habitude de voir l'Afrique exposée ainsi dans une vision positive, vivante et gaie. Le personnage principal, Aya est une jeune fille ambitieuse et attachante, en conflit avec une société figée dans ses archaïsmes, comme ses copines écervelées, incarnant les naïvetés de la jeunesse, la série touche à l'universel malgré son coté couleur locale.
Le fait est que le film ne manque pas de défaut par rapport aux livres. En tant que lecteur des six volumes, on se demande même à quoi bon cette adaptation qui n'amène pas grand chose, elle met même pas mal de choses de coté, est maladroite à bien des égards (réalisation, animation) et ne fait pas ressortir grand chose du suc de l'oeuvre originale.
Certes les décors sont superbes (encore que lors de la projection numérique les petits traits du dessinateur fassent un peu vibrer certains décors, même fixes), les designs sont fidèles aux livres, les voix confirment ou infirment les expressions qu'on lisait sans savoir interpréter (les "dé" ou "même" en fin de chaque phrase), la musique met bien dans l'ambiance, les extraits de films publicitaires de l'époque plongent bien dans l'époque - je trouve même que c'est la meilleur idée de mise en scène du film.
Parce que pour le reste l'animation est très inégale, tantôt ça bouge bien, c'est fluide et expressif (le sermon du curé au mariage), tantôt c'est trop saccadé, des images clés dont il semble manquer les intervalles, des actings trop raides ou peu expressifs.
Il y a un manque global de vie et de profondeur, les vues générales sont trop fixes, les personnages secondaires dans les décors ne sont pas animés, peu de décors sont découpés en profondeur, les effets de compositing sont trop visibles (bon sang, le nuage de l'orage….) les ombres apparaissent ou disparaissent d'un plan à l'autre, le film a un rythme un peu trop égal, les séquences d'action sont assez peu efficaces (la course d'Aya dans le marché), bref, un tas de choses qui m'ont fait regretter de n'être pas allé voir un autre film. Peut-être que ce sont des intentions volontaires, peut-être des manques de budget, l'équipe semblait assez resserrée si on en juge par le générique assez court, j'ignore le budget du film mais on a une impression d'inachevé.
Le film était programmé à Lille dans une unique salle, Art et essai, malgré la production UGC, ce qui réduit considérablement sa diffusion. Pour finir la salle était surtout remplie de personnes de couleur qui rigolaient en choeur aux déboires des personnages ce qui semble donner en plus à ce film une touche de film de communauté qui lui profitera peut-être mais qui me semblait dommage pour son coté universel.
Donc si vous voulez découvrir l'univers d'Aya, préférez les livres.
La chronique de Jipé lors du festival d'Annecy
La bande annonce.